Igor KRTOLICA
Actuel(le) Directeur de programme du 01/07/2019 au 30/06/2025
Direction de programme : Questions d'écologie politique: les minorités et la nature, une cause commune?
Résumé : Ce projet entend interroger le rapport entre la cause de la nature et la cause des minorités. Un tel rapport est attesté depuis la naissance des mouvements abolitionnistes et de la pensée écologique à la fin du 18e siècle.
Le premier axe de ce projet sera historique. Il étudiera trois moments témoignant du rapport entre les plaidoyers écologiques pour la défense des animaux et de la nature et les plaidoyers politiques pour l’émancipation des minorités : de la fin du 18e siècle au milieu du 19e siècle (de la Révolution Française à la Guerre de Sécession), s’établit un parallèle entre abolition de l’esclavage et protection des animaux et de la nature ; dans les années 1960-1980 (mouvements des droits civiques et prise de conscience environnementale), le mouvement de libération animale se compare aux mouvements de libération des minorités, pour s’articuler à partir des années 1980 dans une logique intersectionnelle élargie à la nature (cf. l’analogie entre racisme, sexisme et spécisme) ; au début du 21e siècle, le renouvellement des critiques de l’ontologie dualiste moderne (homme- nature) produit une intrication effective de la cause des minorités humaines et de la cause de la nature. Mais jusqu’où peut-on soutenir qu’il s’agit là d’une cause commune, sans brouiller les frontières qui séparent et articulent ces différents discours et ces différentes luttes ?
Le deuxième axe examinera la logique qui sous-tend cette histoire. Nous questionnerons l’idée d’une extension progressive de la communauté (morale, juridique, politique) qui engloberait virtuellement toutes les êtres de la nature, c’est-à-dire l’idée d’un progrès indéfini de l’universel dans l’histoire. Si les sources d’une telle idée se trouvent dans la pensée des Lumières (cf. les opuscules de Kant sur l’histoire), nous verrons sous quelles conditions elle s’est trouvée plus tard étendue à la nature. Nous montrerons ensuite que la possibilité d’un tel récit repose sur un concept d’universel fondamentalement équivoque ou « contrarié » (Balibar). Nous ferons l’hypothèse que cette contrariété renvoie moins à la persistance empirique de « résidus » non universalisés dans l’histoire qu’à la nécessité transcendantale de l’existence de tels résidus (l’universel produit nécessairement du non-universalisable). Nous nous demanderons si cette tendance ne rend pas intrinsèquement problématique la possibilité d’une cause commune entre l’émancipation des minorités humaines et la protection de la nature.