image philosophie

Isabelle RAVIOLO

Ancien(ne) Directeur de programme du 01/07/2016  au 30/06/2022

Direction de programme : Théologie négative et mystique rhénane dans l'art du XXè siècle : l'image en question

Résumé : Dans cette recherche, je vais travailler sur les notions d’image et de négation en philosophie à partir des textes de la mystique rhénane : à travers les écrits de Maître Eckhart, de Tauler et de Suso, je montrerai comment se met en place une dés-imagination, c’est-à-dire un processus de déconstruction des représentations : il s’agit donc de « percer à travers la coque pour que le fruit en sorte ». Or cette « percée » n’engage pas seulement un travail abstrait de l’esprit, mais aussi un engagement de soi qui suppose une attitude détachée. L’anthropologie rejoint l’éthique et nous conduit à l’épreuve de qui nous sommes et de ce que nous disons être le réel.
Nous verrons que la dialectique de l’image, telle que Maître Eckhart l’a envisagée, a profondément influencé l’art du XXème siècle où l’on retrouve la même exigence de détachement dans la recherche de la représentation de soi, de l’autre et du monde. La question « qui suis-je ? » rejoint celle de « qu’est-ce que donc que je perçois ? ». Les artistes que nous mettrons en relation avec ces philosophes et mystiques médiévaux, se sont eux aussi confrontés à ces questions : ils ont poussé l’exigence de la recherche du réel jusqu’au paroxysme, jusqu’à la déréalisation de la figuration et du « moi ». Cette confrontation au néant les conduira à réinterroger l’image (Rothko et Hantaï) et à désubstantialiser le « moi » (Celan, Musil, Cioran), d’atteindre le « soi » (S. Weil dans sa correspondance avec J. Bousquet).
En quoi la poésie et la peinture qui en passent pourtant par des images vont-elles alors rejoindre l’intention apophatique des mystiques rhénans ? Comment ces artistes vont-ils assumer ce paradoxe? Cette épreuve négative, constitutive de leur œuvre, les conduira à mettre en lumière une nouvelle conception du rapport de l’homme au réel.

Les tableaux de Rothko et d’Hantaï, ainsi que L’homme sans qualités de Musil, ou La rose de personne de Celan témoignent d’un incessant passage, d’une naissance continuelle aux profondeurs de soi, dans ce « fond » (grund) où l’on trouve l’équilibre fragile de l’artiste. Et cette naissance passe par une mort – mort aux images, aux représentations, aux illusions : autant de morts autant de vies, car c’est dans ce creuset du détachement que s’énonce l’acte même de naissance comme un acte de couleur, comme un geste de poésie précaire.