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Alexandre CHÈVREMONT

Actuel(le) Directeur de programme du 01/07/2022  au 30/06/2028

Direction de programme : La dés-affection du son : une crise cosmologique

Résumé : Les sound studies tout autant que les philosophies de « l’ambiance » et de « l’atmosphère » connaissent conjointement un succès qui tend à faire penser qu’il serait possible, sous le nom de « résonance », de penser une relation au monde adoptant le paradigme de « l’auralité » tout en assurant une forme d’harmonie au moins possible avec celui-ci. Qu’en est-il de la musique dans cette convergence ?
Il existe une condition architecturale de la musique, qui vise à instaurer une rupture entre le bruit et le son. La réverbération dans un lieu voué à l’écoute isole le sonore d’autres modalités sensorielles, qui sont alors minorées, voire délibérément effacées. Pour parler de la musique, davantage qu’une phénoménologie naturaliste du son telle que la suggère une philosophie atmosphérique ou ambiancielle, il faut alors disposer d’une « phénoménotechnique » (selon l’expression de Gaston Bachelard) qui tienne compte de cette condition architecturale, et étudie à partir d’elle l’évolution du matériau musical vers une écoute émancipée du lieu, et donc de l’architecture. Bien plus qu’un état naturel de la sensibilité acoustique, l’immersion (dans l’ambiance) est le résultat de techniques de fixation du son qui permettent de l’écouter hors lieu (l’écoute au casque est l’exemple qui vient évidemment à l’esprit).

L’écologie sonore apparaît alors comme étant elle- même le fruit d’une phénoménotechnique du son, qui finit par se retourner contre la condition architecturale de la musique : il faut, pense Raymond Murray Schafer, chercheur canadien fondateur de l’écologie sonore, que la musique « perce les murs de la salle de concert », au moment même où il reconnaît qu’un auditeur cultivé ne peut que se boucher les oreilles quand il en sort, à cause du bruit ambiant. On proposera donc de replacer l’écologie, soucieuse, selon l’expression consacrée, de « l’environnement » (Umwelt), dans une relation au monde (Welt) fondée sur le lien de l’homme-individu à l’humain qu’il doit s’efforcer d’être (cette étonnante distinction entre l’homme et l’humain, nous la devons à Eugène Minkowski). Pour que le monde soit habitable, il faut reconnaître l’humain en nous et en dehors de nous. La musique a bien alors vocation, depuis un langage articulé, à parler du monde traversé par la vie.