Gisèle BERKMAN
Ancien(ne) Directeur de programme du 1/07/2007 au 30/06/2013
Direction de programme : La pensée à l'oeuvre : Ecritures de la pensée du XVIIIè au XXè siècle
Résumé : L’idée organisatrice de ce travail, c'est que la littérature pense, sous des modalités qui ne sont pas de l'ordre du concept, et que l'étude de cette pensée engage chez le chercheur un geste aux dimensions herméneutiques, esthétiques et éthiques. Il s'agira donc de reposer, autrement, la question qui était au centre du livre important de Pierre Macherey, À quoi pense la littérature? Pour Pierre Macherey, la littérature met en jeu un recyclage des savoirs qui « désagrège tous les systèmes de pensée. » L'on aimerait, se démarquant à certains égards de cette approche qui réduit l'oeuvre de la littérature à un travail du négatif, mettre en relief une certaine pensivité active de la littérature. La littérature, on aimerait le montrer, rend la pensée sensible, la « met en chair » au fil d’illuminations, méditations, ruminations, qui sont autant de pensées à l'oeuvre. Cette pensivité peut se faire tragique lorsque se profile l'incapacité à penser, énigmatique, lorsque ce qui parle, c'est la « voix du dehors », l'autre pensée . Étudier la pensivité à l’oeuvre dans la littérature peut donc nous mener à reposer la fameuse question kantienne « Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ? » fût-ce pour mettre en jeu une féconde désorientation.
S'attachant à étudier cette écriture de la pensée qui est celle de la littérature dans son rapport conflictuel ou amoureux à la philosophie posée comme discipline du concept, mon projet s'articule autour de trois axes majeurs :
Il s'agit tout d'abord de tenter une historicisation des questions. Un certain conflit entre littérature et philosophie se joue principalement autour du partage et l'assignation de l'activité de pensée, de son aire et de ses prérogatives. Il s'agira de faire l'histoire de ce partage, du tournant des Lumières à la contemporanéité.
Dans un deuxième temps, on développera l'idée d'une littérature apparaissant, au tournant des Lumières, comme « cogito sensible ». La modernité philosophique et littéraire aurait-elle mis fin à une certaine représentation de l’intériorité, lui substituant une « pensée du dehors »?
On se demandera enfin sous quelles modalités la littérature produit de la pensée, sur un mode qui n'est pas celui du concept, engageant des gestes et intensités singuliers. À quoi pense le roman ? Quelle pensée de la littérature se trouve mise en jeu par une certaine expérience de l’éclair de pensée, de l' « Illumination » ? Que fait la poésie lorsque celle-ci s'aventure au plus près de l’expérience de pensée du philosophe ? Il s'agira de croiser sans les confondre le propos du philosophe réfléchissant la pensée à l'oeuvre dans l'écriture, et la rhétorique ou la stylistique profonde de l’écrivain, lorsque celui-ci, se livrant à une forme de méta-réflexion, tente de définir son rapport de sujet écrivant avec cette pensée qu'il s'agit de capturer, d'épouser, d'inscrire, jusqu'aux limites parfois du visible, du pensable et du représentable.