Résumé : C'est la figure des temps contemporains que ma réflexion poursuit depuis quelques années. Invoquer une figure pour les temps contemporains, ce n'est Pas céder- nécessairement au mouvement irrépressible de tirer le profil ou le portrait du présent. Il serait illusoire de supposer pour notre actualité l'existence de traits qui la devanceraient et lui donneraient un visage reconnaissable. La référence à un cours, préalable aux événements qui le traverseraient pour trouver ainsi un sens capable de les orienter, ne saurait épouser tout à fait la masse des forces et des puissances qui agitent les différents âges du monde. Mais cette impossibilité de croire à un sens de l'histoire ne nous dispense pas de rechercher selon quelles lignes, selon quels foyers les événements se heurtent, se croisent, traçant des confluences dont naît, ici ou là, quelque heure.
Il serait vain de prétendre que les événements se séparent et se dispersent sans jamais réaliser aucun noeud, ni laisser aucun sillage, n'inaugurant aucune concrescence. L'événement, quel que soit son caractère explosif, reste bel et bien l'expression d’une rencontre, fût-elle, comme le pensait Cournot, une rencontre entre séries indépendantes, dépourvues de tout point commun. N'ayant évidemment nulle règle qui prescrive une incidence de ce genre, on ne peut pas néanmoins supposer qu'elle n’ait jamais lieu. Aussi Cournot se réfèrera t-il, précisément, au hasard pour caractériser le nouage des chaînes événementielles. C'est donc en aval d'un écheveau, entrelaçant différentes donnes, que se tracera une figure, comparable en cela aux figures d'un coup de dés, d'un jeu de cartes ou d'un tissage au maillage parfois aléatoire. Et qu'il y ait suffisamment de causes pour-expliquer ces « effets de figure » ne nous procurera cependant guère de raison. On peut, assurément, savoir- que tel dé sera pipé, mais cela ne nous donnera jamais la combinaison qu'il va réaliser en entrant en relation avec les autres membres du jet qui les élance.
Le principe de raison ne peut plus, dans ce cas, fournir de fil conducteur pour rendre compte de la constellation des événements. Aussi, même à supposer que le tissu des actions humaines constitue une série d'occurrences moins relâchées que ne le laissent penser les jeux de hasard, il ne nous sera guère loisible de croire encore à un enchaînement qui tiendrait le monde contemporain assujetti aux règles auxquelles a prêté crédit, pour un temps écrasant, l'époque moderne.
Que la modernité ait procédé à un nombre déterminable d'envois ne préjuge en rien de la figure selon laquelle vont se répartir les dés qu'elle nous destinait.
En outre, la manière de composer la tresse de ces lourds projectiles du passé semble devoir se dissoudre de plus en plus rapidement devant l'impertinence d'un temps bien plus volatil, recueillant des figures capables d'enchevêtrer autrement la gerbe effroyable de ces lignes divergentes, aux vitesses croissantes et aux carrefours fluctuants.